ŒUVRES COMPLÈTES POUR FLÛTE (VOL.2)
Bien que la musique avec flûte de Jolivet soit abondamment fréquentée et enregistrée, la seule intégrale était à ce jour celle de Pierre-André Valade, publiée en 1993. Lors de la parution du premier volume d’Hélène Boulègue, il y a deux ans, nous avions dit notre impatience d’entendre le second. Le voici donc, aussi satisfaisant que le précédent, ce qui nous réjouit pour deux raisons. Hélène Boulègue fait face, pour certaines œuvres du moins, à une importante concurrence, ce qui montre à quel point l’œuvre pour flûte de Jolivet est répandue et considérée au niveau international. D’autre part, elle se situe elle-même au plus haut niveau et n’a rien à envier aux flûtistes les plus chevronnés qui ont illustré ce répertoire. Le son est rond, chaleureux, capable de puissance comme de la plus extrême délicatesse et d’une grande précision rythmique, qualité primordiale chez Jolivet. Enfin, le caractère exhaustif de son entreprise permet de comprendre à quel point, chez Jolivet, même les pages secondaires sont importantes. Certes, on trouvera dans ce second volume quelques pages de premier rang, les deux Concertos pour flûte, le premier avec orchestre à cordes (1949), le second (Suite en concert) avec percussions (1965) et les Pastorales de Noël, mais aussi des pièces plus ou moins connues, comme la Petite Suite pour flûte, alto et harpe (1941), la Sonatine pour flûte et clarinette (1961), le divertissement pour flûte et harpe Alla Rustica (1963), et les deux brévissimes morceaux de 1972, Pipeaubec, concis et élégant, et le fascinant Une minute trente, resté inachevé. Même dans ces miniatures, on perçoit la même délicatesse d’écriture et le sens de l’équilibre. Ce programme permet en outre de considérer l’extrême variété stylistique de Jolivet – il y a loin par exemple, entre les deux concertos pour flûte sinon que, quel que soit le langage, il semble se préoccuper de la lisibilité de la forme et surtout poursuivre sa quête d’une musique incantatoire et libre.
Hélène Boulègue, qui a remporté en 2017 le Concours international de flûte de Kobé, s’est entourée de partenaires de haut vol, Olivier Dartevelle (clarinette), David Sattler (basson), Jean-Christophe Garzia (alto), Anaïs Gaudemard et Nicolas Tulliez (harpe), Marc Aixa Siurana, Rachel Xi Zhang, Laurent Warnier et Dominique Vleeshouwers (percussions), ainsi que les cordes de l’Orchestre Philharmonique de Luxembourg, dir. Gustavo Gimeno.
(Naxos 8.574079)
LA FANTAISIE-CAPRICE EN VERSION AVEC CORDES
L’Ensemble Nuanz composé de Nathanaël Carré (flûte) Evgeny Popov Alexandre Jussow (violons) Jan Melichar et Robin Porta (altos) Jan Pas (violoncelle) et Stefan Roch-Roos (contrebasse) a réuni, sous le titre Palette, une dizaine d’œuvres de compositeurs français, généralement présentées sous formes d’arrangements réalisés par Nathanaël Carré lui-même. Parmi des pages de Fauré, Hüe, Taffanel, Françaix, Bozza, Godard, Ibert, Borne et Hahn, on ne trouvera que deux minutes et demie de Jolivet, avec la Fantaisie-Caprice de 1953, conçue pour flûte et piano et arrangée ici pour flûte et ensemble de cordes. Cette pièce mérite d’être considérée de près car dans sa brièveté, elle renferme l’essence de l’art de Jolivet – l’incantation, l’acuité rythmique et la rigueur formelle. L’habile arrangement accentue même l’espace sonore et la puissance suggestive.
Remarque amusée : la notice présente Jolivet comme un « acolyte » d’Olivier Messiaen. Un acolyte est, stricto sensu, un servant de messe. Il est pourtant peu probable que Jolivet ait jamais servi la messe pour son confrère !)
(Ars Production DSD ARS 38 282)
LES CONCERTOS POUR FLÛTE
De Suisse nous viennent les deux concertos pour flûte (le Concerto pour flûte et cordes et la Suite en concert pour flûte et percussions), associées avec la Ballade pour flûte et cordes et la Sonata da chiesa pour flûte et cordes de Frank Martin (1890-1974). Bien que leurs langages, leurs préoccupations et leur terreau culturel soient très différents, il est intéressant de rapprocher les deux compositeurs, nés à quinze ans d’intervalle mais disparus la même année. Tous deux furent ce que l’on qualifiait autrefois, dans les histoires de la musique moderne, des « indépendants ». Indépendants de quoi ? Des grands courants qui traversaient en leur temps la musique contemporaine, le sérialisme schoenbergien et le néo-classicisme essentiellement. Cette « indépendance » les autorisa à explorer des territoires sonores très variés tout en restant fidèles non à un style mais à une conception de la musique. Chez Jolivet, le souci constant de retrouver la spiritualité originelle de la musique se révèle quel que soit le style de l’œuvre, et l’époque de sa composition. C’est particulièrement vrai dans les deux concertos pour flûte. Pour les œuvres de Jolivet, les enregistrements de José-Daniel Castellon, actuel professeur de flûte à la Haute Ecole de Musique de Lausanne, arrivent dans un environnement très riche (il existait déjà vingt versions du Concerto pour flûte et cordes et quatorze de la Suite en concert). Il est intéressant de comparer sa manière d’aborder les deux œuvres avec celle d’Hélène Boulègue. Là où la jeune flûtiste délivre une version plus sereine (assez proche en cela des ancêtres Dufrêne et Rampal), Castellon se montre d‘une virtuosité plus extravertie dans les mouvements vifs et en souligne le caractère expressif.
José-Daniel Castellon (flûte), Jean-Jacques Balet (piano), Les Percussions Claviers de Lyon, Orchestre de chambre de Lausanne, dir. Nicolas Chalvin (Claves records 50-1818)